Le virus de la COVID-19 qui s’étend dans le monde depuis décembre 2019 impacte l’ensemble des activités tant réelles que financières. Les acteurs de l’industrie de la microfinance (les institutions) et leurs clients sont affectés à de degrés divers par les mesures barrières prises par les autorités politiques tant en Afrique que dans les autres continents. La distanciation sociale et le confinement ont conduit les IMF à un ralentissement voire à une cessation d’activité.
Quelques enquêtes rapides menées par des organismes telles que ADA, Fondation Grameen Crédit Agricole (2020) auprès de leurs partenaires sur une période courte de 18 au 27 mai 2020 donnent un signal même partiel des effets de la COVID sur les IMF de 47 pays d’Europe, d’Asie, d’Amérique Latine et d’Afrique sur ces derniers. Trois questions ont guidé cette réflexion :
• D’abord, quels faits stylisés pouvaient être mobilisés et permettraient de mettre en évidence, au stade actuel des connaissances, les effets mesurables sur les acteurs de la microfinance ?
• Ensuite, face aux effets de la distanciation sociale et du confinement, la mobilisation de l’outil digital n’est-elle pas devenue la solution permettant la poursuite de l’activité sous une forme renouvelée ?
• Enfin, la digitalisation n’ouvre-t-elle pas la voie à une nouvelle microfinance avec la forte présence des banques et des technos dans l’offre de services financiers digitaux de proximité ?
Il ressort de l’ensemble de ces questions que la crise économique induite par la COVID-19 a touché les métiers la microfinance sous trois aspects :
1. Les IMF du monde entier et surtout d’Afrique ont rencontré des difficultés pour assurer les déboursements de crédits et pour les clients de poursuivre les remboursements de leurs prêts.
2. Les clients des IMF ont rencontré d’énormes difficultés pour accéder à leurs points de services
3. Le portefeuille à risque a plus que doublé pour 41% des IMF d’Afrique Subsaharienne en particulier.
L’utilisation de l’outil digital tant pour les services déjà existants que pour les nouvelles solutions à mettre en place est la stratégie vers laquelle devraient s’orienter les IMF.
En première approximation, « la digitalisation c’est le passage lent, coûteux et terriblement consommateur d’énergie, des services (…) dans des interfaces de type Web ou mobile ».
« L’utilisation du terme « digital » ou digitalisation en français ne relève pas de l’anglicisme, mais d’un mouvement dans les études sociales du numérique qui souhaite mettre l’accent sur la dimension tangible matérielle et corporelle du numérique. Le numérique est incarné, il s’inscrit toujours d’une manière ou d’une autre, dans une matière dont la limite se tient au bout de nos doigts ». Ce terme fait référence aussi à la notion de transformation numérique, qui évoque «le processus qui permet aux entreprises d’intégrer les technologies digitales au sein de leurs activités».
Le terme digitalisation a deux contenus (Lavayssière B., 2015, p. 57). Le premier, évoque « une génération nouvelle d’outils techniques et méthodes de traitement des données, de présentation de ces données et de leur transmission, autrement dit l’apport des technologies d’Internet (notamment lesstandards W3C – World Wide Web Consortium) dans le traitement de l’information ». Le second désigne « l’ensemble les nouveaux instruments, interfaces/outils de communication physiques ou virtuels comme les smartphones, les X-blets (tablettes de différentes formes), les réseaux sociaux, les agents intelligents, etc. ». Une IMF digitalisée serait celle qui articulerait ces deux dimensions. La digitalisation dans sa forme de fourniture de services de paiements mobile ou mobile banking est un facteur d’inclusion financière. La notion de digitalisation est élargie dans notre entendement à celle de quasi-digitalisation. Elle désigne des stratégies informatiques de base qui ne requiert par l’usage de smartphone, ni d’interne, mais simplement de téléphones de génération antérieure adapté à l’exploitation de deux services : le SMS (Short Message Service) et pour le paiement la technologie USSD (Unstructured Supplementary Service).
La digitalisation actuellement à l’œuvre dans les services de microfinance passe par le mobile banking. Les fournisseurs de ces nouveaux services sont les banques, les Fintech, les établissements de monnaies électronique et quelques institutions de microfinance.
L’entrée dans la digitalisation d’offreurs de services micro-financiers est soumise à deux types de barrières : la capacité de créer un réseau de détaillants et l’obtention d’une licence d’opérateur de téléphonie mobile couplée à celle d’émetteur de monnaie électronique.
Ces deux barrières facilement franchissables par les banques et opérateurs de téléphonie mobile, sont en revanche difficilement surmontables pour les institutions de microfinance qui se retrouvent d’emblée évincées des métiers de micro- prêts digitalisés. Dans l’offre de service de mobile banking ou de mobile money elles sont reléguées au rôle de simples distributeurs de ces nouveaux services pour les banques ou les technos. Ce nouveau rôle qu’exercent les IMF s’explique aussi par le caractère biface des marchés des services digitaux. Le produit ou le service distribué (mobile money, mobile banking) est celui des opérateurs de téléphonie mobile ou des banques. Les IMF ne peuvent exercer qu’un simple rôle de distributeurs de ces produits ou services.
Il y a cependant des signes de l’émergence d’une nouvelle microfinance induite par l’offre de services de mobile money ou de mobile banking ici ou là par des IMF au Sénégal, en Ouganda et au Kenya.
Le Digital modifie in fine la chaine de valeur de la microfinance. L’entrée dans ce nouveau segment nécessite de pouvoir posséder simultanément trois avantages au sens de Dunning (Ownership, localisation et internalisation du paradigme « OLI »). Le premier avantage est spécifique aux Technos, Fintech et aux banques multinationales (voire leurs filiales locales) présentes en Afrique. Cet avantage menace l’existence même de la microfinance traditionnelle. L’avantage en termes de localisation, crée un effet d’éviction au service de proximité, (qui était l’avantage spécifique des agences des IMF) par la suppression de la distance physique qu’apporte « le digital » (mobile money, mobile banking). La présence dans les espaces géographiques (proches) des kiosques « de cash in et cash out » des Technos et des points de services des IMF (agences) détourne vers ces entités, facilement déplaçable (à coût faible) une large fraction de la clientèle qui s’adressaient auparavant aux IMF. Enfin, le dernier avantage (internalisation) permets aux structures ayant bénéficié de l’agrément d’émettre de la monnaie électronique de « siphonner » et l’activité traditionnelle et la clientèle attachée au cash par la réduction de ces types d’opération avec l’usage de mobile money notamment. Les nouveaux opérateurs bancaires et les Technos offrent même des crédits de taille plus petite que le microcrédit traditionnel. On parle de pico voire de nano crédit.
De ce qui précède, la microfinance doit être réinventée, en accompagnant ses acteurs actuels par le renforcement de leur résilience. Les petites structures menacées de disparaître par cette nouvelle forme de concurrence que la crise de la COVID-19 a mis en lumière ont davantage besoin d’être soutenues.
CÉLESTIN MAYOUKOU , CREAM-UNIVERSITY OF ROUEN
MAGLOIRE LANHA, UNVERSITY OF ABOMEY CALAVI-LAMI DEV